L’intensité du travail

L’intensité du travail est devenue un sujet d’études et de préoccupation pour les services des ressources humaines et pour les journaux spécialisés. On peut définir l’intensité du travail comme le niveau d’activité et de puissance de travail qu’un individu ou une collectivité mettent en œuvre à leur poste de travail ou dans un cadre professionnel plus global.

L’intensité du travail est au cœur de la recherche d’amélioration de la productivité et de la rentabilité puisque, bien menée, son augmentation pour un niveau d’activité constant, permet de réduire les effectifs et donc les charges variables. Mais, revers de la médaille, si elle n’est pas ajustée individuellement par une organisation du travail adaptée, elle entraîne de nombreux dysfonctionnements : absentéisme, turn-over, accidents du travail, maladies professionnelles (troubles musculo-squelettiques ou TMS) et autres troubles physiques ou psycho-somatiques, et même des situations de harcèlement moral révélées par les recours en justice qui se sont développés ces dernières années.

On ne peut évaluer l’intensité du travail qu’à travers ses résultats qu’ils soient individuels ou collectifs. Ainsi la productivité du travail est un indicateur indirect du résultat de l’intensité du travail dans une entreprise, un service ou un atelier. Elle se mesure à l’aide de plusieurs ratios :

par exemple, le rapport Production / (effectif x durée du travail)

ou bien, plus précisément, parce que dans ce cas le travail sous-traité est exclu, par le rapport :

Valeur ajoutée / (effectif x durée du travail).

ou encore par la production par jour, par travailleur.

Il s’agit donc d’une mesure du résultat collectif de l’intensité du travail. La productivité augmente si la production augmente à effectif et durée du travail constants, ou bien si, à production constante, les effectifs et / ou la durée du travail diminuent.

L’augmentation de la productivité du travail n’est pas nécessairement due à celle de l’intensité du travail. Elle peut provenir d’une meilleure technologie et dans ce cas, c’est la productivité du capital technique qui intervient principalement. Mais, avoir un outillage plus productif exige le plus souvent qu’il soit associé à un travail plus efficient (polyvalence, meilleure qualification, utilisation de l’informatique). L’agencement du capital et du travail, en tant que  » facteurs de production « , donne de meilleurs résultats sous l’influence d’un troisième facteur de production, le progrès technique. Cependant, la part respective de ces trois  » facteurs  » dans le résultat atteint n’est pas toujours aisée à identifier.

Le rendement du travail donne, quant à lui, des indications sur les prescriptions d’intensité du travail, dans le cadre d’une  » organisation scientifique du travail  » de type taylorien. Taylor, inventeur de cette méthode, n’avait d’autre objectif que de lutter contre la  » flânerie  » des ouvriers et donc d’augmenter l’intensité de leur travail. Le rendement est un rapport de temps, par exemple le temps prescrit calculé par un service des méthodes, comparé à un temps effectif, incluant les pauses et les aléas du fonctionnement de l’atelier. Il peut être calculé individuellement ou collectivement et a été conçu pour le travail à la chaîne posté, qui est loin d’avoir disparu dans les secteurs où l’on produit des biens matériels. Le travail à la chaîne pose un redoutable problème d’  » équilibrage des postes « , c’est-à-dire d’ajustement des caractéristiques individuelles des agents de production aux nécessités de chaque poste. Le rendement augmente, lorsqu’on augmente les cadences, donc in fine l’intensité du travail.

Aucune augmentation de l’intensité, de la productivité ou du rendement du travail ne peut garantir l’augmentation de la rentabilité d’une entreprise. La diminution des effectifs, en réponse aux exigences des ratios financiers, demandées par les gestionnaires du capital pour les entreprises côtées en bourse, n’est qu’un simple artifice comptable qui permet d’augmenter le rendement des actions, dans une vision de rentabilité à court terme. Elle aboutit à gonfler artificiellement la valorisation de la société, au sens comptable du terme, sans augmenter son patrimoine réel et en compromettant ses chances de survie, par une diminution des investissements.

Même si l’on quitte le monde incertain des bulles financières pour rejoindre celui de l’économie en termes réels, l’augmentation de la productivité du travail ne peut pas davantage garantir une plus grande rentabilité de l’entreprise, puisque la productivité ne concerne que l’efficacité interne de cette dernière et ne garantit en rien le maintien ou l’accroissement de ses parts de marché ou de son profit. D’où l’importance actuelle du métier de commercial, dont on cherche à augmenter l’intensité du travail (puissance du travail) et l’efficacité (réalisation de chiffre d’affaires) par diverses incitations, notamment pécuniaires.

Individuellement, l’intensité du travail est éminemment variable selon les individus et dans le temps. Chaque personne a des performances différentes qui résultent de la mise en œuvre de ses compétences, de sa motivation, de sa bonne adaptation à l’organisation du travail et à la culture de l’entreprise. Pour cette raison, l’intensité du travail ne peut être perçue individuellement que de façon relative, en fonction des aptitudes intellectuelles, psychologiques et physiques des salariés. Collectivement, l’intensité du travail dépend du système de gestion des ressources humaines utilisé : méthodes d’organisation du travail, de commandement, systèmes de communication et de récompense des performances. À ce niveau, c’est l’atmosphère au travail et la culture d’entreprise qui interviennent ; c’est dire qu’une bonne gouvernance interne du personnel joue un rôle fondamental pour faire de l’intensité du travail une source de rentabilité et non une cause de souffrance au travail et de mécontentement du personnel. Des ordres contradictoires, une hiérarchie versatile, des relations professionnelles tendues ne peuvent à terme qu’avoir des effets négatifs. Jouer sur le stress et la crainte, comme le pratiquent certaines entreprises, n’est efficace qu’à court terme et si l’entreprise peut supporter sans dommage un turn-over et / ou un absentéisme important. C’est le cas pour certains emplois peu qualifiés où il existe une réserve importante de chômeurs.

Au contraire, une communication adaptée et bien construite, l’attribution de tâches précises, un niveau d’autonomie adapté à la personnalité du collaborateur, autorisent la conjugaison de l’efficacité et de l’éthique en matière de gestion des ressources humaines.

Augmenter l’intensité du travail, à une époque où, dans la plupart des métiers, il est nécessaire de développer polyvalence et adaptabilité, de suivre un protocole précis — compte tenu des exigences de la certification et de la sous-traitance —, requiert une connaissance fine des caractéristiques psychologiques des collaborateurs et des méthodes de communication élaborées. Développer et maintenir un niveau d’intensité du travail qui permette à l’entreprise d’utiliser au mieux ses ressources en capital humain, est avant tout un problème de clarté des objectifs et des ordres, de management adapté et différencié des salariés, c’est-à-dire de bonne gouvernance dans l’entreprise.

En d’autres termes, l’intensité du travail dans l’entreprise dépend beaucoup de la fiabilité du supérieur hiérarchique, du point de vue de son collaborateur, ce qui est un autre sujet.

 
Mme Claude Allègre

Mme Claude Allègre